Interviewer un pilote élite est toujours un privilège pour nous. Alors, quand il s’agit de discuter avec le Champion du Monde de moto trial, Toni Bou, et avec l’une des légendes du trial vélo, Raúl Gutierrez, cela devient carrément un moment unique et l’occasion d’échanger avec des pilotes entrés dans l’histoire de leurs disciplines respectives ! Cela s’est passé sur une des manches du Championnat d’Espagne de moto trial outdoor.
Avant de vous laisser profiter de cette entrevue unique, je tiens à remercier ces deux champions pour leur disponibilité. Ce fut un moment inoubliable pour nous ! Rappelons que Toni vient de remporter son 6ème titre mondial indoor et que Raúl fête ses 15 ans de présence parmi les élites ! Enjoy !
Tribal Interview
Comment te définirais-tu comme pilote ?
Toni : Je suis un pilote très agressif, avec un pilotage hérité du bike trial. Voilà, je pense que c’est ce qui me définit le mieux en tant que pilote : l’agressivité et la technique bike appliquée à la moto.
Guti : Je pense être un pilote très technique et du coup, j’adore les épreuves ultra-techniques.
Quel est ton meilleur atout ?
Toni : La technique bike trial. Je suis le pilote qui a le plus transposé la technique vélo à la moto, je l’ai adaptée et fait évoluer et c’est ça qui, je pense, me permet de faire la différence.
Guti : Comme je te disais, les épreuves techniques, c’est là où je roule le mieux. Tout le contraire des indoors, que je n’aime vraiment pas. Je suis loin des meilleurs dans ce domaine.
Ton point faible ?
Toni : Je dois m’améliorer dans les épreuves sous la pluie. Par exemple au Japon, où il y a beaucoup de boue et où la moto est parfois près de s’enfoncer, cela me pose des problèmes. Je dois travailler cet aspect. Cela vient du fait que je ne dispose pas de terrains d’entraînement propices, je devrais aller rouler en Angleterre.
Guti : Les indoors, c’est ce qui me pose le plus de problèmes.
Quel est ton pire moment vécu en trial ?
Toni : Comme tous les pilotes, les pires moments sont les blessures. Par exemple, quand je me suis fracturé la jambe : ça s’est passé à un moment où tout allait bien, tout était facile et là, je me blesse. Tu es arrêté un mois ou deux, tu dois récupérer, revenir sur la moto… C’est très difficile.
Guti : La même chose que Toni, les blessures. Et puis, avoir perdu deux Mondiaux consécutifs pour un point et être ex-aequo au suivant, toujours pour un point… Si je me souviens bien, c’était face à Marco Hoesel.


Pourquoi le trial ? Comment as-tu découvert cette discipline et pourquoi l’as-tu pratiquée ?
Toni : Eh bien, généralement, ce qu’on voit à la maison, on le pratique. En l’occurrence mon père roulait en moto. Je pense que c’est le cas pour tous les sports mécaniques, quand tu es né dedans…
Guti : Moi, c’est grâce à mon oncle qui roulait en moto trial. J’aurais bien aimé faire comme lui mais je n’ai pas eu la chance d’avoir une moto. J’ai donc fait du vélo, tout seul.
On a lu dans une interview que tu avais commencé par le vélo parce que tu étais meilleur qu’en moto. Es-tu passé au trial moto car tu pensais qu’il serait plus facile pour toi d’en vivre ?
Toni : Je suis passé à la moto car je préférais ça au vélo, c’est clair. Quand j’ai eu 6 ans, je me suis rendu compte que je pouvais faire plus de choses en vélo qu’en moto. J’ai donc demandé à mon père si je pouvais faire des compets de bike et il a accepté. Mais j’avais une moto à la maison, je faisais quelques sorties et à l’âge de 11 ou 12 ans, en gagnant de la force, je m’y suis mis davantage, j’adorais les pilotes. Après quelques années d’hésitation, j’ai finalement opté pour la moto.
Après avoir tout gagné, quels sont tes objectifs Toni ? Et toi Guti ?
Toni : Eh bien, mon objectif est de continuer à prendre du plaisir. C’est très important de vivre de quelque chose que tu aimes, je me sens privilégié de pouvoir pratiquer mon sport favori et être professionnel.
D’autre part, je veux rester motivé, progresser (car je pense qu’il est toujours possible de s’améliorer).
- Guti : Pour moi, l’objectif est de gagner une manche du Mondial en élites. Je cours après cette victoire depuis de nombreuses années, c’est très difficile car beaucoup de pilotes sont au top. Mais c’est vraiment mon objectif.
Avec la blessure de Dani en Chine, c’était le moment pour toi ?
Guti : Eh bien, au premier tour, il était largement devant nous. Il tombe juste à la dernière zone du premier tour et, dès lors, on a commencé à se tirer la bourre Kazuki, Alonso et moi. J’étais bien, j’attaquais fort mais je prends un 5 sur une zone que j’avais franchie à 0 au premier tour, par manque de physique.
Qu’est-ce que le trial t’a apporté de meilleur dans ta vie ?
Toni : Pour moi, c’est de profiter jour après jour des montagnes, des paysages, de la moto… Cela représente beaucoup pour moi, c’est mon sport favori, je m’éclate à le pratiquer, aussi bien en moto qu’en vélo.
Guti : Pour moi, c’est comme Toni. Pouvoir profiter de ce que je vis, rencontrer des gens, connaître des pays, vivre avec la nature : tout cela est possible grâce au bike.
Tu sens une évolution dans la façon dont les gens te suivent, depuis que tu as remporté tes deux premiers Mondiaux ?
Toni : Oui, c’est clair. En trial, quand tu gagnes un Mondial, tu prends de l’importance ; si tu en gagnes deux, trois, cinq ou six, c’est encore plus grand. Il n’y a, évidemment, pas de comparaison possible avec certains autres sports : en trial, tu dois gagner plusieurs fois si tu veux être quelque peu reconnu.
Toni : 4 temps. La raison est que depuis 2007, je roule en 4 temps et j’ai remporté tous les Mondiaux que j’ai disputés. Je trouve que le 4 temps a une puissance à bas régime incroyable et c’est important pour moi de rouler avec peu de gaz. Il m’aide vraiment à exploiter la technique bike trial, je mets moins de gaz, j’y vais plus tranquille, je vois mieux les choses. C’est ce qui me correspond le mieux.
Tu crois qu’avec un 2 temps, tu pourrais avoir la même hégémonie ? Le 4 temps joue-t-il un rôle majeur dans tes victoires ?
Toni : La moto marche du tonnerre, c’est incontestable. Sans elle, je ne sais pas ce qu’il en serait. Je serais certainement devant mais peut-être pas de cette façon. Non pas que la moto soit bien supérieure à celles des autres mais parce que nous formons une équipe qui tourne vraiment bien.
20, 24 ou 26 pouces ? Il semble que le 26 fait de plus en plus d’adeptes : plus légers, plus efficaces…
Guti : J’ai testé les trois et ce que je préfère, c’est le 20. Je m’éclate davantage en 20. Rouler sur un bike sur lequel tu t’éclates moins, ce n’est pas une solution.
Les années passent. Tu penses rouler en grandes roues avant de raccrocher le casque, comme d’autres l’ont fait ?
Guti : Non, je terminerai ma carrière en élites. Je ne changerai pas de catégorie pour remporter un Mondial, comme d’autres que je respecte ont fait. Ce qui est sûr, c’est que je roulerai en 20. On ne sait jamais si j’ai des propositions pour rouler en 26 mais le 20 pouces est ma priorité. Je pense aussi rouler en moto et en rallye.
Toni : En ce qui me concerne, je préfère le 26, c’est plus facile quand je repasse sur la moto. Je trouve le 20 pouces trop petit. Mais j’ai testé un 24 et ça me plaît encore plus que le 26 !
Quelle est la moto à laquelle tu tiens le plus et pourquoi ?
Toni : La moto de 2007, la première Montesa que j’ai eue. Elle avait une couleur gris alu vraiment différente. J’ai gagné mon premier Mondial avec. C’est une moto inoubliable pour moi.
Tu l’as gardée ?
Toni : Je vais la garder. Les Japonais ne me la donnent pas avant 15 ans passés, pour éviter qu’elle ne soit copiée.
Et toi Guti ?
Guti : Je vais te parler de mon pire souvenir. C’était en 2002, sur un Mégamo à disques. Les gens de Mégamo étaient un peu têtus, ils voulaient que je roule avec ça et sur la fin d’une zone, les disques de frein ont sauté ! Je me suis fracassé les dents et la mâchoire et j’en ai gardé un sacré souvenir ! (rires)
Celui-ci, tu ne l’as pas gardé ? (rires)
Guti : Non, non, je l’ai brûlé !! (rires)
As-tu des manies ? Des idoles ?
Toni : Des idoles, j’en ai eu. Lampkin, Tarrés, Ot Pi, César Cañas, Dani Comas, Guti… Tu prends comme modèle tous les grands pilotes et non un seul en particulier : tu observes la technique de l’un (Guti), la puissance de l’autre (Dani)… Je crois que j’ai eu davantage d’idoles dans le vélo qu’en moto. Quand tu arrives à la moto, tu as déjà des bonnes bases et c’est différent. Je me souviens quand j’étais gamin, je me dépêchais de finir pour aller voir les autres catégories, pour assister à tes duels avec Benito, Guti… C’est toujours le cas ?
Guti : Non, il n’y a plus ce respect qu’on voyait avant.
Toni : Sinon, je n’ai pas de manies, je ne suis pas maniaque.
Tu n’utilises pas toujours les mêmes gants quand tu gagnes ou des choses comme ça ?
Toni : Non, je suis plutôt détendu avec tout…
On t’a vu rouler dans un indoor avec des bottes trouées…
Toni (rires) : Je les avais abîmées à l’échauffement et comme je suis distrait… J’oublie les choses. Heureusement que je suis dans une équipe qui s’occupe de tout… (rires).
Et toi Guti, des manies, des idoles ?
Guti : Des manies, c’est chercher à ne pas en avoir. Des idoles, comme l’a dit Toni, j’ai beaucoup d’amis. J’admire Toni et son évolution depuis le plus jeune âge : c’est mon pote depuis toujours et voir ce qu’il est devenu aujourd’hui, pour moi, c’est quelque chose de grand. Dani Sordo est aussi mon ami, Fran Ventoso, des gens que je connais depuis l’enfance. C’est un honneur pour moi de les connaître.
Entretien réalisé par Álvaro López