Cela devient une habitude : depuis plusieurs années, Tribalzine vous propose des interviews exclusives des top pilotes espagnols au lendemain de l’épreuve-phare de la saison : le Championnat du Monde ! Au lendemain du Mondial 2012, nous avons passé plus d’une demi-heure avec au téléphone avec Abel Mustieles, et il est revenu en détails avec nous sur une compétition qui s’est révélée décevante pour lui. Nous le remercions pour sa disponibilité et pour nous avoir accordé en exclusivité cet entretien, tout de suite après le Mondial.
Tribal Interview
Salut Abel ! Merci de ta disponibilité et la rapidité avec laquelle tu acceptes de nous accorder cet entretien. Tu finis deuxième. Cette année, ce n’est pas comme par le passé : on ne sait pas si tu es satisfait de ta course, après tout ce qui s’est passé. Le premier jour de compétition nous t’avons vu confiant. La suite s’est un peu compliquée… Tu peux nous raconter ça ?
Pour commencer, merci à vous pour l’intérêt que vous me portez et pour votre rapidité. Franchement, au regard de tout ce qui s’est passé, je suis satisfait. A un moment donné, j’étais sur le point de tout arrêter ; quand j’ai cassé le deuxième vélo, j’ai dit à César que je voulais abandonner. Je ne voyais plus, à ce moment, l’intérêt que j’avais à me battre. Et puis, finalement, mon père, Rafa Tibau, César, Kenny m’ont encouragé à continuer, on a re-régler le vélo, on a perdu beaucoup de temps. A vrai dire, j’avais de bonnes sensations, j’arrivais à réaliser des bonnes choses. J’ai entamé l’épreuve hyper motivé, je me sentais bien à tous les niveaux. Sur la zone 1, j’assure ; dans la 2, on me compte un appui pédale, comme à Vincent : le contrôle y était un peu strict mais bon, comme je te l’ai dit, je me sentais bien. Sur la zone 3, à mi-parcours, il y avait un passage que tu pouvais assurer mais tu risquais de survoler la flèche. C’est ce qui est arrivé à Benito. Et je voudrais dire que, sur ce trial, les gauchers étaient avantagés.
Je ne veux pas qu’il y ait du parti pris envers tel ou tel pilote, juste de la neutralité. Il y avait une différence de traitement trop importante. C’est dans cette zone 3 que je casse la durite de mon frein et perds l’huile. J’ai donc pris mon deuxième vélo : il est super mais comme c’est le premier proto, il est un peu plus lourd et un peu moins efficace que mon autre vélo. J’ai continué et j’ai essayé de re-trouver mon rythme, ça ne freinait pas au top mais bon, ça a été plus ou moins. En fait, j’avais été touché au moral, je prends un 5 sur la zone 4, il y avait un passage vraiment très dur, on a tous pris 5. La zone 5 passe bien jusqu’à la sortie où je perds le contrôle. Sur la 6, on me met un 5 vraiment litigieux mais bon, tu es au Mondial et le jugement du commissaire est sacré. On nous a tous mis des 5 vraiment douteux mais si le commissaire dit 5, c’est 5. Je refais la zone 1, comme au premier tour, je l’assure. La 2, c’était la zone des rochers, là où je pouvais faire la différence, parce qu’elle me plaisait beaucoup. Je franchis le premier obstacle, déjà difficile. Je me prépare pour un statique sur une pointe et je sens le levier de frein qui touche le cintre. Je me suis dit : « Pas encore ! ». Je pose le pied pour voir ce qui se passe et je vois le patin tomber, l’étrier arraché.
Je regarde César et, bien sûr, j’étais abattu. Je regarde le commissaire qui me demande ce que je fais : donne-moi le carton s’il te plaît. Je descends du vélo, m’appuie sur un mur ; c’est là que je vois César, Kenny, mon père. Le coup avait été rude. Ils ont fini par me convaincre de continuer ; on a monté le frein du mulet sur le premier vélo, on a perdu du temps, Benito m’a dépassé. On a continué, pressé par le temps. Et là, j’ai retrouvé des sensations du début, du frein et tout allait bien. Je refais la zone 3, où j’avais cassé mon frein. La 4, je la sors à 1, Benito à 0, c’était une zone qui lui convenait bien. Vincent fait 4 il me semble, et nous voilà partis vers la zone 5 : deux obstacles assez difficiles, il fallait franchir des lettres en bois. Sur le premier, il fallait effectuer un bond au milieu d’une traverse et franchir. C’était tellement serré que je prends un 1 en touchant la pédale. Avec ce point de pénalité, je me suis dit : “ça passe ou ça casse”. Direction la 6. La situation était la suivante : si Benito fait 5 et moi 0, on est à égalité. Mais je pensais que même à égalité, j’aurais perdu à cause du temps. La zone était vraiment difficile, il y avait un gros franchissement à la fin ; j’avais décidé de le tenter. A mi-parcours, Benito pose un pied sur la pyramide de buses et sur le saut final, il sort un autre pied. Il finit à 5 cette zone difficile. Ici, j’aimerais faire une pause parce que j’ai lu qu’il y avait une astuce pour sortir à 1 au lieu de 5 ; j’aimerais bien savoir comment. Benito fait 5 en ne lâchant rien. Cette dernière zone comportait un passage délicat pour les 20 pouces, l’espace étant très limité. Après une buse en travers, il y avait une rampe qui envoyait sur une autre buse. Je loupe 2 fois. A la troisième tentative, j’accroche en haut, je suis à 2’25 et à bout de forces. Ce passage, tout le monde a assuré ; moi, je l’ai tenté, même en sachant que j’avais perdu le titre. Je pense que si je ne m’y étais pas repris à 5 fois en tout, ça pouvait passer. Mais bon, c’est comme ça.
Comment réagis-tu aux propos te concernant, que nous avons pu lire ?
A propos des commentaires me concernant, je ne veux pas entrer dans la polémique. C’est absurde, on est tous amis. Je ne veux pas trouver des excuses sur les 5 douteux. Tout le monde prend des 5. Des 5 qui peuvent être litigieux pour moi, pour toi ou même pour les commissaires mais c’est la même chose pour tout le monde. Personne ne se cherche d’excuses. Je te dis juste ce qui m’est arrivé. Si je n’avais pas eu de problèmes avec mon vélo, je ne sais si j’aurais gagné mais je pense que j’avais vraiment ma chance. On ne peut pas dire que je ne révise pas mon vélo ou que j’aurais dû mieux le préparer. Personne n’est à l’abri d’une casse, y compris d’une pièce neuve. Casser un frein sur un proto sur lequel tu roules depuis un an ne devrait pas arriver mais on n’est pas à l’abri. C’est comme une crevaison ou un saut de chaine. C’est ce qu’on appelle la chance.
Tu avais changé des choses sur ton vélo pour aborder ce Mondial dans les meilleures conditions ? Tu peux nous parler de sa mise au point ?
J’avais pratiquement tout changé : nouvelles jantes, manivelles, pédalier, pédales… Mais, j’ai eu un problème avec ma durite de frein, le pontet a cassé et on n’y peut rien. Mon bike était neuf et pour moi, cela reste le meilleur au monde. C’est de ma faute, j’aurais dû changer le frein au lieu de rouler sur mon deuxième vélo. Mais bon, tu es dans un Mondial, pressé par le temps… Sur le coup, tu te dis que le mieux, c’est de changer de vélo.
Tu as dû te dire que si tu avais changé le frein au lieu de changer de vélo, tu aurais pu gagner le Mondial.
Oui. Mais comme je t’ai dit, c’est comme ça. Ce sont des décisions dans une carrière, prises avec le stress. On fait tous des erreurs mais sur le coup, tu crois que c’est la meilleure solution. Jamais je n’aurais pensé que ça allait se reproduire.
Tu partais en favori pour ce titre de Champion du Monde avant que tout cela n’arrive... Cela a décuplé ta motivation pour la Coupe du Monde ?
Oui, bien sûr, ça a été un coup dur pour moi l’Autriche. Je ne dis pas que j’aurais pu gagner ce Mondial si je n’avais pas eu de problèmes mécaniques, mais c’est sûr que ça m’a déstabilisé. Et quand j’ai cassé le deuxième vélo… cela ne m’était jamais arrivé ! Je n’aurais peut-être pas gagné mais cela fait plaisir d’entendre les gens parler de moi depuis. Ils savent que j’ai commis des erreurs à cause de mes problèmes mécaniques. Mais bon, c’est comme ça.
C’est impressionnant d’avoir accumulé autant de soucis et de, finalement, passer à côté du titre pour un écart aussi petit.
Exactement. C’est ce que ma copine, mon père, tout le monde a dit. Être à seulement 3 points, avec tout ce qui m’est arrivé…
Il reste la Coupe du Monde. Si tu la remportes, tu te diras que c’était une bonne saison ou alors l’échangerais-tu – avec les Championnats d’Europe -, contre le Mondial ?
Les titres, quand on y regarde, c’est surtout utile pour les sponsors. Pour moi, ce qui est vraiment important, c’est les progrès que j’accomplis à l’entraînement. Je progresse chaque jour un peu plus et c’est ça qui compte, que ça se répercute ou non sur les résultats. 2012 a été une année de transition, avec beaucoup de changements pour moi. Je ne vais rien changer. J’ai gagné les Championnats d’Europe, un moment génial ; j’ai échoué au Mondial, c’est comme ça. Tout le monde m’a réconforté en me disant que j’avais perdu à cause des problèmes mécaniques. Mais c’est pour ça que je suis triste. Si j‘avais perdu face à des adversaires vraiment au-dessus, comme Benito à Anvers ou Vincent à Val d’Isère, ok. Mais là, je me dis que c’est de la malchance. A partir de là, c’est difficile de déterminer qui est le meilleur : le vainqueur de la Coupe du Monde ? Le Champion du Monde ? D’Europe ?
Si on réfléchit en termes d’épreuves gagnées, on ne sait pas. Ce qui est sûr, c’est que le meilleur pilote du monde, c’est Gilles Coustellier. Je le remercie pour la démonstration qu’il nous a faite aux Mondiaux ; c’était grand, il est mon idole et une source d’inspiration pour moi. Quand tu vas au Championnat du Monde, c’est pour déterminer qui est le meilleur pilote mondial. Eh bien, ce n’est ni Ros, ni Hermance ni Mustieles. C’est Gilles et il l’a démontré de façon éclatante. On doit tous prendre exemple sur lui. Son niveau est incroyable. Il te donne la chair de poule quand il roule, je l’en remercie. J’espère qu’il continuera longtemps à ce niveau. Ce sera dur de l’atteindre. Il y a un avant et un après Gilles, c’est sûr.
Mais tu es encore jeune et tu as fait beaucoup cette saison. Tu te blesses, tu as du mal à freiner et tu finis deuxième du Championnat d’Espagne. Tu es opéré et tu rates de peu une victoire en Coupe du Monde ; tu casses deux vélos et tu finis à 3 points d’un titre mondial… Il est clair que tu peux y arriver en continuant à travailler.
Oui, il y a moyen de devenir un bon pilote mais aujourd’hui, il faut garder les pieds sur terre et voir les choses avec humilité. Je ne veux pas polémiquer mais, toutes catégories confondues, le meilleur, c’est Gilles. En 20 pouces, je ne me risquerais pas à dire qui est le meilleur ; on est tous très proches.
C’est une idée où on dirait que tes relations avec Benito ont changé. Qu’en dis-tu ? Ta vision de Benito a changé ?
Benito est une légende. Il a remporté 9 titres mondiaux, il est entré dans l’histoire du trial. C’est vrai que nos relations sont maintenant différentes. Je suppose que c’est la compétition, la rivalité de marques concurrentes… Mais on doit garder les pieds sur terre, c’est un pilote de légende, mais je sais que je n’ai vraiment pas eu de chance cette saison. Sur ce Mondial, on a tous pris des 5 litigieux mais ce qui m’est arrivé n’est arrivé à personne d’autre.
Tu sais qu’il y a beaucoup de gens, nous y compris, qui te soutiennent et qui savent les efforts que tu as fourni cette saison, indépendamment des résultats.
Oui, je le sais et j’en suis très reconnaissant. Au Mondial, les gens venaient me voir, ils étaient désolés de ce qui m’était arrivé et conscients du travail que j’ai fourni cette saison. Cela restera en moi, j’en suis heureux même si ce souvenir me blesse également ; ça me motive et je remercie le public d’Autriche : si je me suis entraîné dur l’hiver dernier, cet hiver je m’entraînerai deux fois plus. C’est vraiment dommage que cela se soit passé comme ça. Oui, c’est vraiment dur. Tout allait bien, je me sentais en forme et tout à coup boum ! Mais il faut que j’y voie aussi le positif et la motivation que ça me donne. Il faut passer à autre chose.
C’est vraiment dommage que cela se soit passé comme ça.
Oui, c’est vraiment dur. Tout allait bien, je me sentais en forme et tout à coup boum ! Mais il faut que j’y voie aussi le positif et la motivation que ça me donne. Il faut passer à autre chose.
Tu veux remercier quelqu’un en particulier ou ajouter quelque chose ?
Oui, en premier lieu, merci à vous pour votre soutien et cette interview. Merci à ceux qui étaient avec moi et à ceux qui ne pouvaient être là : ils étaient avec moi par la pensée, comme ma fiancée, qui est ma principale source de motivation. D’autres qui n’ont pu être là, comme mon entraîneur Jesus Otero, à qui je dois tout cette année, mon préparateur José, ma famille, César, Rafa Tibau, Carles, mon ami de 10 ans, qui est toujours là, Kenny pour m’avoir motivé. Et comme je l’ai dit, merci à tous ceux qui étaient là et qui m’ont aidé à aller de l’avant.
Propos recueillis par Alvaro Lopez. Photos de Marco Patrizi, Mathias Lambrecht, Mr Ti, Sebastian Klipper.